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Tant que les spiraux étaient uniquement métalliques, Nivarox du Swatch Group détenait un quasi monopole. Aujourd’hui que l’alternative du silicium se répand, cette technologie brevetée est à nouveau accaparée par un petit groupe de manufactures. Mais le spiral, aussi stratégique et névralgique soit-il, relève de la science des matériaux, non du génie horloger.
L’histoire du spiral est intimement liée au développement des techniques horlogères depuis son invention par Chritiaan Huygens en 1675. Dès cette date, ce ressort névralgique dans la régulation des garde-temps a en effet été sujet de toutes les attentions, surtout avec l’avènement des technologies modernes d’usinage qui ont permis de faire des pas de géant dans le façonnage de ce composant et donc dans la précision des mouvements. Les progrès réalisés dans la métallurgie n’y sont pas davantage étrangers dans la mesure où les alliages mis au point se sont avérés de plus en plus performants en termes de coefficients de dilatation thermique, en sachant que pendant très longtemps ce sont les écarts de température qui représentaient l’ennemi numéro un du spiral.
Avec la mise au point de l’Invar (fer, nickel), puis de l’Elinvar (fer, nickel, brome et tungstène) et enfin, en 1933, du Nivarox (Nicht Variable Oxydfest - non variable non oxydable), un savant composé de fer, nickel, cobalt, chrome, titane et béryllium, la messe a été dite et pendant très longtemps. Surtout qu’une entreprise suisse du nom de Nivarox-Far, propriété de la SMH devenue Swatch Group, s’est retrouvée au lendemain de la crise du quartz comme la seule encore capable d’assurer la fabrication de ces micro composants stratégiques sur la base d’alliage réalisés en Allemagne. La production était assurée et l’approvisionnement sécurisé, si bien qu’au début des années 1980, cette entreprise s’est retrouvée en quasi monopole livrant des spiraux à toute l’industrie horlogère suisse. Personne n’y trouvait rien à y redire, jusqu’au début des années 2000 où le renouveau de la montre mécanique a clairement fait comprendre tous les dangers d’une telle situation.
Panique à bord !
Nombre de manufactures ont alors compris tout l’intérêt de trouver des alternatives à Nivarox, la plus évidente étant d’acquérir les compétences en internes, même si un tel processus devait s’avérer déficitaire vu les volumes nécessaires pour rentabiliser une telle production. Qu’à cela ne tienne, des Maisons comme Bovet, Precision Engineering (H. Moser & Cie), Atokalpa (Vaucher Manufacture/Parmigiani), A. Lange & Söhne ou Jaeger-LeCoultre ont par exemple développé des solutions propres. D’autant que la menace s’est clairement précisée en 2012, lorsque Nicolas Hayek, alors à la tête de Swatch Group, a clairement laissé entendre que les livraisons de spiraux de la part de Nivarox à l’ensemble de l’horlogerie suisse n’étaient pas un principe immuable. Panique à bord !
"Pour beaucoup, le silicium a fait entrer l’horlogerie dans le 21e siècle."
En parallèle et avec l’intégration d’ingénieurs dans les manufactures, en particulier de spécialistes en génie des matériaux, le spiral est entrée dans une autre dimension. Tout a commencé avec le silicium, dont les propriétés se sont très révélées idéales pour la production des composants de l’échappement et de spiraux aux formes parfaites, d’un meilleur isochronisme, léger, parfaitement amagnétique et d’excellente compensation thermique. En d’autres termes, pour beaucoup, le silicium a fait entrer l’horlogerie dans le 21e siècle. Au point que les dépôts de brevets se sont multipliés, notamment au niveau du Swatch Group également entré très tôt dans la danse. Car si Ulysse Nardin a ouvert la voie en 2001 via sa filiale Sigatec, un consortium formé de Breguet, Patek Philippe et Rolex, en collaboration avec la Centre suisse d’électronique et de microtechnique de Neuchâtel, ont également abouti à leurs propres composants en silicium, encore protégés en termes de propriété intellectuelle pour les trois ans à venir.
Les composants en silicium sont devenus stratégiques
Le silicium s’est ainsi répandu comme une trainée de poudre chez Ulysse Nardin, Patek Philippe et les marques de Swatch Group Jaquet Droz, Harry Winston, Omega, Blancpain et Breguet, plus parcimonieusement chez Tudor et Rolex, une Maison qui disposait déjà d’un très performant spiral Parachrom. On notera également quelques incursions, remarquée chez Frédérique Constant, contestée chez Baume & Mercier et peut-être prometteuse au sein de l’entreprise new-yorkaise Firehouse Horology dont l’équipe d’ingénieurs vient de déposer un brevet sur un tout nouveau spiral en silicium qui semble intéresser François-Paul Journe dans une première phase de test. D’autres ont choisi de contourner l’obstacle comme TAG Heuer qui présentait en début d’année son propre spiral en composite de carbone, une solution d’avenir, tandis que Zenith est en train de fiabiliser son oscillateur monolithique révolutionnaire en silicium dévoilé sur la Defy Lab. Mais les alliages métalliques n’ont peut-être pas dit leur dernier mot, comme on a pu le constater avec le spiral paramagnétique en Nivachron, un nouvel alliage à base de titane mis au point encore une fois par le Swatch Group et Audemars Piguet.
"Dans l’horlogerie contemporaine, les techniciens ont désormais une place de choix auprès du calife."
Il n’en reste pas moins que cette lutte autour du spiral, parfaitement compréhensible dans la course à la précision et hautement représentative des champs de recherche actuels dans la mesure du temps, est une compétition entre ingénieurs et non entre horlogers. Pour ces derniers, l’essentiel est ailleurs, dans la construction du mouvement, dans l’agencement de ses complications, dans la finition et l’harmonie des formes. Tout ce qui fait une belle montre dont le spiral et l’échappement sont certes des composants ultra sensibles mais des composants avant tout. Dans cette alchimie particulière qu’est l’horlogerie, on remarquera que les techniciens ont désormais une place de choix auprès du calife. Il serait déroutant qu’ils deviennent les califes à la place du calife.
FHH Journal |