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L’entreprise familiale du Brassus, spécialisée dans la fabrication des établis et agencements bois, bat au rythme du boum horloger
Son nom n’est pas apparu sous les feux de la rampe lors de l’inauguration du nouveau siège du CIO, à Lausanne, en juin dernier. Pourtant, l’entreprise J. Bodenmann a remporté – en duo avec son confrère de la vallée de Joux Étienne Berney – la course pour la construction du magistral escalier en bois de chêne situé au cœur du bâtiment. La forme de cette pièce maîtresse, dessinée par des architectes danois, représente, sur cinq niveaux, les anneaux olympiques et le mouvement perpétuel des athlètes. L’installation des pièces de boiserie – dont aucune n’est identique à une autre –, redessinées et produites en atelier, a pris cinq mois. La commande se montait à 1,8 million de francs. Tout aussi importante a été, l’an dernier, sa réalisation pour le Grand Théâtre de Genève, entièrement rénové. La menuiserie-ébénisterie du Brassus a effectué des travaux de restauration pour 2,5 millions de francs d’une grande partie des aménagements intérieurs et extérieurs en bois.
25 monteurs mobilisés
L’entreprise, qui a répondu à une soumission publique, s’est vu confier à Genève tous les ouvrages de menuiserie et d’agencement, de conception et de formes particulières. Elle dit avoir relevé certains défis techniques en raison de l’utilisation conjointe de divers matériaux (bois, plexiglas, verre, laiton), grâce notamment à son propre atelier de serrurerie mécanique dans l’usine de Campe 10, située en bord de route peu avant Le Brassus en arrivant de L’Abbaye. Son travail portait sur la rénovation du mobilier et l’habillage intérieur: les bars, dont l’un de 22 m de long, la billetterie, les tables de maquillage dans les loges, les boiseries, palissandres, éléments cintrés, gradins, pans de murs, vestiaires, portes, mains courantes. Un chantier exceptionnel pour la PME vaudoise, ses employés devant se mouvoir dans des volumes et des hauteurs de plafond vertigineuses. Ces travaux, qui ont duré pour elle une année, avant l’inauguration du nouveau Grand Théâtre en février 2019, ont mobilisé jusqu’à quinze personnes en production et 25 monteurs sur le site de la place de Neuve à Genève.
Ce type d’agencements pour le bâtiment représente maintenant environ 40% des affaires de J. Bodenmann SA. Dans ce secteur, elle a aussi participé à la construction de la Maison de l’écriture à Montricher, qui a duré six ans, en s’occupant de presque tous les agencements intérieurs et extérieurs en bois. Mais elle produit également des agencements pour des écoles et des hôpitaux. Quelque 20% de la clientèle sont des particuliers (principalement villas). Cette diversification est l’œuvre de Jean-Daniel Bodenmann, président de la société, 64 ans, qui a transmis en mars dernier les rênes de la direction à sa fille Mélanie, administratrice, qui représente la cinquième génération de la famille et s’occupe plutôt du volet commercial, et à Marc Dépraz, directeur, menuisier de formation, responsable de l’opérationnel.
Toutefois, la manufacture du bois reste très dynamique dans son activité phare depuis près de quarante ans comme sous-traitante du secteur de l’horlogerie-bijouterie. Elle fabrique du mobilier et des établis de tous styles (près de 400 en moyenne par année), ainsi que des armoires, bibliothèques ou agencements d’ateliers et de boutiques de luxe.
Fondation en 1891
L’entreprise est fondée en 1891 par Jakob Bodenmann, charpentier en provenance de l’autre bout de la Suisse. Il venait de bâtir la toiture et le clocher de l’église protestante de Saint-Gall. Son fils continue dans la charpente, mais il se lance également dans la production de skis. C’est le père de Jean-Daniel qui, dans les années 1960, commence à fabriquer des établis d’horlogers. Reprenant la direction en 1986, celui-ci transforme la société en SA, ses douze employés se partageant entre le nouveau créneau et la charpenterie.
Les premiers clients horlogers sont trouvés à Genève, qui reste l’un des principaux marchés de l’entreprise. Le maître menuisier a trouvé là un domaine où il ne compte presque aucun concurrent. Abandonnant la charpenterie, la société enregistre une croissance importante dès les années 1990, Au tournant du millénaire, celle-ci compte déjà près de 40 employés. Ce chiffre est toujours à l’ordre du jour, la majorité étant des menuisiers. L’équipe technique est composée de sept personnes. Il faut également ajouter une quinzaine de temporaires, principalement l’été.
Sa clientèle l’amène aux quatre coins du monde, même en Corée du Nord, pour honorer une commande d’établis de la Confédération à titre d’aide dans les années 1950-1960! L’entrepreneur se souvient aussi du transport aux États-Unis de 400 caisses d’expédition de composants en bois (poirier) pour poser des agencements dans le réseau de boutiques d’un horloger suisse. L’ensemble des pièces avaient été fabriquées au Brassus, où, comme c’est habituellement le cas, on fait un prémontage pour s’assurer qu’il n’y a pas de problème avant l’expédition des composants. Les exportations représentent environ 5% du chiffre d’affaires (8 à 10 millions de francs) de la PME vaudoise. Un cinquième est réalisé à la vallée de Joux!
Nouveaux équipements
J. Bodenmann SA s’est équipé de machines modernes permettant d’augmenter sensiblement les capacités de production grâce à l’automatisation. Car la demande a changé, remarque le président: les délais sont beaucoup plus courts et l’entreprise doit traiter plus de projets en même temps. L’ambition de la direction n’est pas de grandir rapidement, mais de façon constante, en lissant les commandes. «Notre idée est de croître un peu, de manière continue, grâce à notre puissance de production», remarque Marc Dépraz. Pour cela, l’entreprise compte encore investir dans de nouveaux équipements, notamment pour la conception assistée 3D. Des outils qui permettent à cette PME de produire «à son échelle» des agencements sur mesure en petites séries. Mais aussi des réalisations audacieuses et de prestige comme cet escalier de chêne honorant le monde olympique.
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